« Bring back our Gbagbo !» : Le détournement obscène d’une tragédie mondiale !

Bon nombre d’entre les ivoiriens ont sûrement découvert, avec sidération, sur le net et les réseaux sociaux que, « bring back our girls ! », le mot d’ordre de l’indignation mondiale provoquée par l’enlèvement ignominieux des lycéennes nigérianes par les terro-bandits de la secte « boko haram », a été détourné par les réseaux, plus actifs que jamais, de l’ancien chef d’Etat ivoirien au profit de leur mentor ! L’hebdomadaire jeune Afrique fait état de cette parodie dans sa publication en ligne du lundi 26 mai 2014 dernier. « Bring back our girls » a inspiré la diffusion d’un « Bring back our Gbagbo ».

La formule est obscène parce qu’elle détourne et vampirise une cause universelle au profit d’un homme politique qui s’illustra par le rejet de l’Universel, par l’inhumanité de son régime et par le mépris de la dignité humaine. Le leitmotiv de la révolte mondiale contre l’enlèvement et l’esclavagisation des jeunes filles nigérianes est tout simplement vampirisé au profit d’un ex-chef d’Etat qui, en Côte d’Ivoire, permit à sa soldatesque et ses miliciens de perpétrer contre des femmes et des jeunes filles des actes d’une cruauté similaire à l’inhumaine cruauté de la secte nigériane.

Une succession de souvenirs surgissent des mémoires pour faire barrage à ce détournement. C’est d’abord le souvenir du massacre à l’obus anti-char des jeunes femmes le 3 mars 2011 à Abobo, qui dénonce la scandaleuse parodie « bring back our Gbagbo » ! C’est ensuite celui de la joie malsaine de la compagne du dictateur, se réjouissant du viol des jeunes filles dont la dignité humaine fut piétinée par la soldatesque et les milices du régime, en représailles à une manifestation interdite comme il est de bon ton sous toutes les dictatures.

Ces deux agressions insignes que le régime Gbagbo perpétra contre la féminité et contre les femmes, aurait dû arraisonner la démesure des propagandistes du régime, disséminés en réseaux dans les démocraties occidentales dont ils ne retiennent pas les valeurs humanistes cardinales et notamment celle de la validité universelle du principe de responsabilité politique des dirigeants d’un Etat envers la nation.

L’instrumentalisation de la mort tragique de Dame Mandjara Ouattara ces jours-ci, fait saillir ce manque de scrupule ! Ceux qui mettent en cause aujourd’hui la responsabilité du chef de l’Etat et des autorités ivoiriennes dans l’immolation dramatique de Mandjara Ouattara ne sont-ils pas ceux qui s’évertuent jusqu’ici à rejeter toute responsabilité du chef de L’Etat d’alors, Laurent Gbagbo, et celle des autorités politiques de son régime quant aux crimes massifs contre l’humanité commis durant sa présidence et pendant la crise post-électorale provoquée par son refus de céder le pouvoir après avoir perdu les élections ? N’est-ce pas pour clamer, ad nauseam, cette révoltante « innocence », que le slogan « bring back our girls » a été détourné au profit de Gbagbo, en « bring back our Gbagbo ? » ? N’y-a-il pas alors, dans la récupération du « bring back our girls », le détournement du leitmotiv d’une révolte mondiale contre une abomination dont il fut lui-même coutumier du temps de son gouvernement calamiteux ?

Il y a donc, en cette démesure, le signe inquiétant d’un parti politique qui avait dévoyé le socialisme dans un ethno-nationalisme quasi génocidaire et qui n’a pas réussi à faire son aggiornamento.

Le « bring back our Gbagbo » est finalement le symbole ultime de l’incapacité du parti à répondre aux demandes politiques de son électorat, à élaborer et à mettre en forme les demandes sociales, à les présenter en tant qu’offre partisane d’une politique socialiste répondant aux défis des temps nouveaux à l’ère de la mondialisation. Les drames du quotidien humain et les faits divers comblent alors la carence idéologique et programmatique du parti en lui offrant, au hasard des jours, du matériel pour un bricolage politique ! Est absente une utopie structurée par une idéologie moderne maîtrisée et fondée dans une conviction subjective. En guise d’idéologie politique opère un ethno-nationalisme centré sur le mythe et le culte du chef charismatique que l’intelligentsia organique du parti élabore obstinément en s’inspirant de la vulgate des slogans du socialisme stalinien des premières années du siècle passé.

Cette historicité régressive ne répond pourtant guère à l’exigence d’une opposition démocratique constructive fondée sur la confrontation idéologique et la représentation des intérêts qu’appelle la démocratie électorale constitutionnelle. En ces temps incertains où triomphent les extrêmes, les nationalismes étriqués et les replis frileux sur soi qui menacent de briser les Etats africains dans la haine de l’autre et le massacre il faut mettre au premier plan de la question politique africaine, la responsabilité des élites qui doivent apprendre à se dépasser pour se mettre le service de l’intérêt général et du bien commun. Ce service de la généralité démocratique qui passe aujourd’hui par l’attention aux particularités et au souci de chacun pour les Autres est le sacré qui donne du sens à la politique.

Le temps est donc venu de résilier pour de bon, en nos pays africains, les manipulations, les instrumentalisations, la politique de gribouille sans projet de société, sans réflexion idéologique et sans éthique qui nous fait régresser alors qu’il nous faut avancer en construisant rationnellement le futur pour les générations présentes et à venir mais aussi en respect de la mémoire des générations passées qui se sacrifièrent pour nos Indépendances africaines  ! Le temps est venu de renoncer à la partitocratie et à la célébration d’un messie politique, d’un Führer irremplaçable dont l’histoire montre souvent qu’il est toujours un fléau pour les peuples. En Afrique la responsabilité des élites est donc plus que jamais engagée !

Dr Alexis Dieth
Professeur de Philosophie
Vienne. Autriche

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1 commentaire

Est-ce l’absence de réflexion ou la perversion et l’absence de morale qui a poussé l’auteur de ce “Bring back our Gbagbo!” ?
C’est, en tout cas, l’écœurement et le dégout qui m’ont envahi en lisant l’abjection de cette comparaison.
Comment ne pas voir la différence entre le soutien à ces jeunes filles enlevées, battues, forcées dans leur chair et leurs convictions, menacées d’esclavage, et le soutien à un ex chef d’état jugé comme criminel de guerre ?

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