Au terme de la lutte anticolonialiste deux chantiers prioritaires avaient été ouverts dans la Côte d’Ivoire indépendante : d'une part, l’œuvre d’établissement de la République. Cette œuvre fut engagée pour rassembler sous le principe d’égalité, la diversité des peuples du territoire afin de bâtir l’unité politique du nouveau corps social ivoirien. Simultanément fut engagée, d’autre part, l’œuvre d'édification d’une conscience nationale, d’un sentiment de reconnaissance réciproque et d’appartenance commune citoyenne entre les diverses ethnies et confessions du territoire.
Sous la conduite du père de la Nation Félix Houphouët-Boigny, l’élite politique ivoirienne conduisit avec succès au moyen du PDCI-RDA sous le régime de parti unique cette œuvre de développement et de modernisation jusqu’aux années 1990.
Enracinés dans la mémoire du combat anticolonialiste auquel participèrent toutes les collectivités qui payèrent le prix du sang, les semences du sentiment ivoirien d’appartenance nationale commencèrent à germer sous l’œuvre continue trentenaire de construction nationale du PDCI-RDA qui s’était défini comme parti libéral de masse dans un Etat déterminé par des impératifs sociaux.
Cette œuvre de construction nationale qui aurait dû être consolidée par le régime démocratie pluraliste, fut abrogée dans les années 1990 par des acteurs politiques qui se lancèrent dans une instrumentalisation de l'identité ethnique et confessionnelle dans la lutte pour le pouvoir entre 1995 et 2010.
La floraison du sentiment ivoirien d’appartenance nationale qui aurait dû être entretenue et portée à maturation à travers l’élaboration conceptuelle de l’Idée d’unité nationale, fut piétinée par un certain nombre d’intellectuels ivoiriens. Ces derniers désertèrent leur fonction en se définissant comme architecte du mythe ethniciste d’autochtonie en qualité d’intellectuels organiques d’une mouvance identitaire échafaudée par un certains nombre d’acteurs politiques.
Ces deux catégories se donnèrent la main pour diviser la cité et renforcer la définition ethnique de soi au détriment de la définition nationale. Récusant la République ils réinterprétèrent dans un sens ethniciste et régionaliste la géopolitique houphouëtienne.
La géopolitique houphouëtienne signifiait tout simplement la reconnaissance des ethnies et des régions par la république qui les intégraient comme acteurs dans l’œuvre du développement. Ministres et hauts fonctionnaires ne participaient pas au gouvernement et à l’administration en tant que représentants des ethnies et des régions mais en tant que citoyens ivoiriens ressortissant d’une ethnie et d’une région.
La Loi fondamentale de l’Etat ivoirien est républicaine. La géopolitique ivoirienne incarnait la synthèse politique de la citoyenneté et de mémoire, de la nation et du respect de la tradition. Elle était déterminée parle projet de construction nationale.
La géopolitique d'un certain nombre d'acteurs politique post-Félix Houphouët-Boigny eut au contraire un sens de partage ethnique du pouvoir d'Etat et finit à partir de l’année 1995 par signifier sous la notion d’ivoirité l’appropriation ethnique du pouvoir par exclusion des autres catégories du territoire national. En certaines fractions et partis de l’échiquier politique ivoirienne on a ainsi transformé le pouvoir d’Etat en fin en soi et oublié la tradition Houphouëtienne de sa définition comme instrument opérationnel d’un programme de construction nationale.
Motivées par un souci de dévolution monarchique du Pouvoir comme patrimoine ou comme rétro-commission, les dissidences d’Henri Konan Bédié et de Soro Guillaume contre le RHDP expriment de manière spectaculaire cette crise mémorielle.
Depuis Avril 2011 le RHDP d’Alassane Ouattara a restitué au pouvoir d’Etat sa fonction institutionnelle telle qu’elle fut définit dans la tradition houphouëtienne. Or cette coalition programmatique d’obédience libérale qui prétend unir libéralisme économique et préoccupation sociales des populations est en butte aux attaques d’une opposition non programmatique qui se définit exclusivement dans la stigmatisation populiste du gouvernement.
La problématique politique centrale est devenue aux yeux de cette intelligentsia rassemblée dans une mouvance ethno-populiste identitaire, celle de la captation patrimonialiste et oligarchique du pouvoir ou celle de son partage ethnique, confessionnel et régionaliste.
Déterminée par ce paradigme communautariste et patrimonialiste, l’alternance démocratique du pouvoir est appréhendée sous le mode ethniciste, confessionnaliste et régionaliste. Ce modèle « à la libanaise » qui transforme l’Etat en patrimoine de représentants de communautés est dangereux.
Il détourne et pervertit définitvement, l’alternance démocratique du pouvoir. Celle-ci doit toujours se définir comme alternance impersonnelle de programmes économiques, sociaux et politiques divergents. Elle ne doit jamais se définir comme alternance périodique et régulière d'une équipe de dirigeants communautaires à la tête de l'Etat. (A suivre)
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