Ambroise Tiétié
Journaliste Professionnel
du Rassemblement (Quotidien ivoirien)
Le mercredi 17 septembre 2014, le président du PDCI, alors président de la conférence des présidents du RHDP a lancé, depuis sa ville natale, Daoukro, l’appel éponyme invitant les formations signataires de l’alliance des Houphouétistes à soutenir la candidature de son cadet Alassane Ouattara, en 2015, pour un second mandat. Dans le même appel, il a également lancé l’idée d’une alternance au pouvoir entre le PDCI et le RDR, à partir de 2020, au sein d’un parti unifié qui naitrait sur les cendres du groupement politique RHDP.
Depuis le 08 août 2018, le PDCI-RDA ne fait plus partie du RHDP. En cause, d’une part, l’alternance en 2020 au profit du vieux parti dont Bédié n’a pas eu la garantie de la part du président Alassane Ouattara. Il a donc estimé avoir été floué puisque, pour lui, cette ‘’clause’’ était l’envers de l’Appel de Daoukro. D’autre part, il a justifié la rupture par son refus de voir le PDCI-RDA disparaitre au bénéfice du RHDP. Ce dernier point, il l’a réitéré devant la chefferie baoulé, récemment. C’était à Yamoussoukro, où il s’est rendu pour ‘’débaptiser’’ soi-disant le chef de l’Etat Alassane Ouattara, à qui a été donné le nom Allah Gnissan, dans l’entre-deux tours de la Présidentielle 2015.Ci-après le récit de la rencontre par le site Apa News : ‘’ Le président Bédié qui rencontrait les chefs baoulé (Akouè et Nanafouè) de cette localité leur a expliqué les raisons de sa rupture avec le chef de l’Etat Alassane Ouattara. ‘’En 2010, ici même à Yamoussoukro, lors du second tour de la présidentielle, vous vous êtes engagés à mes côtés pour soutenir Alassane Ouattara, candidat du RDR (ndlr Rassemblement des républicains)’’, a rappelé M. Bédié. En septembre 2014, a-t-il poursuivi, ‘’j'ai lancé un appel à Daoukro pour que le PDCI le soutienne à nouveau à la présidentielle de 2015. Il a accepté cet appel qui prévoyait qu'en 2020, le RDR allait soutenir le PDCI… C'est cet accord que le RDR et son président Alassane Ouattara ont rejeté. Ils ont refusé de soutenir un candidat PDCI en 2020 contrairement aux promesses faites’’, a fait savoir le président du PDCI. ‘’Ils ont proposé que tous les partis du RHDP deviennent un seul parti et que le PDCI disparaisse’’, a ajouté M. Bédié qui dit s'être opposé à cette proposition par respect pour la mémoire de feu Félix Houphouët-Boigny (premier président ivoirien). ‘’Je continuerai de m'opposer à la liquidation du PDCI. Faites-moi confiance, nous allons continuer de protéger l'œuvre la plus chère de Félix Houphouët-Boigny en mettant fin à notre alliance avec Alassane Ouattara. Il n'y a plus d'Allah Gnissan (Nom de baptême donné à M. Ouattara par la communauté baoulé)’’. Poursuivant, M. Bédié a conseillé à la chefferie baoulé de ‘’n'accorder aucun crédit à ceux qui viennent vous dire que seul le parti unifié du Rassemblement des Houphouëtistespour la démocratie et la paix (RHDP, coalition au pouvoir) est capable de garantir la paix et la stabilité en Côte d'Ivoire’’. Auparavant, le patron du PDCI a soutenu que depuis le 17 juin 2018, ‘’plusieurs tentatives de liquidation’’ de son parti ont été menées par ‘’ceux qui ont créé le RHDP unifié’’. Mais, ce que N’Zueba, qui veut se donner le beau rôle, ne dit pas, c’est qu’il était lui-même à l’avant-garde de l’initiative visant la disparition du PDCI-RDA. Puisque, à plus ou moins long terme, la disparition du vieux parti était inscrite dans l’agenda des signataires du RHDP. Pour preuve, tous les partis qui composent RHDP, y compris le PDCI-RDA, étaient d’accord sur les modalités de la mise en place du parti unifié.
Bédié était d’accord sur les modalités de la mise en place du parti unifié
Voici ce que rapportait l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique sur la question. ‘’Le parti unifié de la mouvance présidentielle dont la création avait été annoncée par le président Alassane Ouattara, pour ‘’avant la fin 2017’’ n’a toujours pas vu le jour en Côte d’Ivoire. Cependant, les choses se précisent, en dépit de quelques réticences de fond et de forme. Le comité de haut niveau du RHDP présidé par le vice-président Daniel Kablan Duncan (PDCI) a bouclé ses travaux depuis plusieurs jours et transmis ses conclusions à Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Il en ressort notamment que le parti unifié sera appelé RHDP, du nom de l’actuelle coalition au pouvoir. Selon plusieurs sources, le PDCI a réussi à imposer certaines conditions. La première est la mise en place d’une phase transitoire de 18 mois, lors de laquelle le parti sera organisé en fédération de partis, sur le modèle du Rassemblement démocratique africain (RDA). Les six membres que sont le RDR et le PDCI, l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI, d’Albert ToikeusseMabri), le Mouvement des forces d’avenir (MFA, d’AzoumanaMoutayé), le Parti ivoirien des travailleurs (PIT, de Joseph SékaSéka) et l’Union pour la Côte d’Ivoire (UPCI, de BrahimaSoro) devront ainsi joindre le ‘’suffixe’’ RHDP à leurs logos originels’’, précise le célèbre confrère. En clair, le président Bédié était partant pour voir le PDCI-RDA se ‘’dissoudre’’ dans le parti unifié. Mais, les choses ont achoppé sur son désir de représenter le candidat du PDCI-RDA en 2020, au nom et pour le compte du RHDP. Et c’est, surtout, le message à la Nation du président Alassane Ouattara du 6 août 2018 qui, lui enlevant toute illusion, a tout gâté. Une adresse dans laquelle, il soutient clairement et sans la moindre ambiguïté l’idée d’un passage de témoin entre la vieille génération et la nouvelle.
’’Au moment où la Côte d'Ivoire célèbre ses 58 ans d'indépendance, je veux réaffirmer ma foi en la jeunesse et ma conviction dans le renouvellement des générations. Comme je l’ai déjà souligné, nous devons travailler pour transférer le pouvoir à une nouvelle génération, de manière démocratique, en 2020. Notre pays est riche d’hommes et de femmes, jeunes, compétents, qui ont reçu une formation de qualité, qui ont appris à nos côtés comme nous avons appris aux côtés de nos aînés. N'ayons pas peur de passer le témoin. Faisons confiance à nos jeunes, tout comme nos aînés nous ont accordé leur confiance. Déjà, le 15 janvier 1962, le Président Félix Houphouët-Boigny disait ceci : ‘’Dans cette Côte d'Ivoire où est si vive la conscience de la responsabilité de génération en génération, la fierté veut que, chacun de nous laisse, à la génération future, davantage qu'il n'a reçu’’. Mon devoir est de laisser dans la conscience de nos cadets, une culture plus forte des valeurs de la Nation, un pacte citoyen’’, a fait savoir le premier citoyen ivoirien. C’était plus que n’en pouvait supporter le Sphinx de Daoukro qui a décidé de prendre ses distances avec une coalition qui ne présentait plus le moindre intérêt pour lui. Voilà la vraie raison du retrait du PDCI-RDA. Elle est directement liée aux ambitions de Konan Bédié qui a des envies de ‘’revanche’’ (il l’a dit lui-même). Puisqu’il ne veut pas que la postérité retienne de lui l’image du 24 décembre 1999 qui a vu l’armée le chasser du pouvoir alors qu’il se croyait ‘’dieu’’ et crachait du feu. C’est une occurrence qu’il n’a jamais vraiment digérée et qu’il entend ‘’corriger’’ ou ‘’rectifier’’.
Voilà la raison principale du retrait du PDCI-RDA du RHDP
De cette ‘’ambition vindicative’’ procède tous les calculs du Bouddha de Daoukro. Et c’est à elle qu’il a sacrifié le RHDP, ce bel instrument de conquête et de conservation du pouvoir aux mains des Houphouétistes. En l’espèce, chercher à savoir ‘’qui a renié sa signature’’, c’est ouvrir un faux débat, parce que poser la question, c’est y répondre. Tant, on le voit, Bédié aura été celui par qui le ‘’scandale’’ est arrivé. Et pourtant, il a mis des balises lorsqu’il lançait son fameux appel. A savoir que l’alternance ne devait intervenir qu’à partir de 2020, dans le cadre du parti unifié (certes, il y aurait eu fusion-absorption, mais chacun sait qui est qui et qui vient d’où). Voici ce qu’il disait à ce sujet, en septembre 2017, lors de la célébration de l’an 3 de l’Appel de Daoukro : ‘’Depuis quelque temps, la vie du pays emble arrêtée, rivée sur une seule question, celle de la Présidentielle 2020. Toutes les énergies et toutes les intelligences se focalisent sur ce seul point, la présidence de la République. Toutes les chapelles politiques s’y mettent et souvent sans y mettre la forme. C’est la raison pour laquelle je crois devoir donner quelques indications relativement à cet appel. Dans un couple, il y a des hauts et des bas. Les ambitions sont certes légitimes, mais elles doivent être orientées, coordonnées. Tout le monde ne peut pas être président de la République en même temps. Notre alliance résoudra le problème de la gestion du pays et l’Appel de Daoukro balise le problème de succession au pouvoir’’. Dont acte. D’où vient-il qu’il ne s’en est pas tenu à ‘’ses propres balises’’ ? La question reste posée.
Pour autant, qu’il soit permis de déplorer cette situation qui impacte négativement le climat politique et fait à nouveau planer le spectre d’une énième crise.C’est le lieu de revenir à la mise en place du RHDP, cette plateforme qui a permis les retrouvailles des deux plus grands héritiers du père de la Nation, alors ‘’frères ennemis’’, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, par le truchement improbable de l’ancien président ghanéen John Kuffor. ‘’Quand, les 29 et 30 juillet 2004, le Ghana du Président John Kuffor accueille pour la 3ème fois des pourparlers inter-ivoiriens, baptisés Accra III, très peu d’observateurs pouvaient deviner, au-delà de cette hospitalité, un signe de l’Histoire. Et pourtant, les premières lettres d’un autre pan de l’histoire de la Côte d’Ivoire avaient commencé à être écrites, en marge de ces délicates négociations qui réunissaient dans la capitale ghanéenne les principales Forces Politiques Ivoiriennes, signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis. Outre le pouvoir, représenté par le FPI et ses satellites, l’opposition, multi-facette, était composée d’une part, du PDCI-RDA, du RDR, du MFA, de l’UDPCI, et de l’ex-rébellion (MJP, MPCI, MPIGO), et d’autre part, le PIT et l’UDCY. Ces discussions qui visaient à relancer la mise en œuvre de l’Accord de Linas- Marcoussis, s’étaient tenues, en présence de plusieurs Chefs d’État africains, a l’invitation du Président en exercice de la CEDEAO, John Kufuor, et du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Kofi Annan.
Les premières lettres d’une autre histoire avaient commencé à être écrites
Mettant à profit le vent favorable de la rencontre au sommet des principaux acteurs politiques ivoiriens, le Président John Kuffor s’est secrètement employé a réconcilier les frères ennemis des années 1990 que furent les Présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, tous deux présents à Accra, dans le même camp, celui de l’opposition au régime de Laurent Gbagbo. Regroupé alors dans un informel G7, constitué du PDCI-RDA, du RDR, du MFA, de l’UDPCI et des trois mouvements armes (devenus Forces nouvelles) le MJP, le MPCI et le MPIGO, ce groupe tentait, sans succès malgré quelques petits pas, de faire appliquer les clauses de l’Accord de Linas-Marcoussis, qui devait permettre l’organisation d’élections présidentielles transparentes et ouvertes à tous. En fait, les manœuvres de rapprochement Bédié-Ouattara ont débuté le 28 juillet, la veille de la rencontre au sommet ayant débouché à la signature de l’Accord d’Accra III. Selon une source diplomatique proche de l’ancien Premier ministre ivoirien Seydou Elimane Diarra, c’est le président ghanéen qui, dans l’organisation pratique du sommet, a instruit ses services aux fins d’héberger Ouattara et Bédié dans des suites voisines qui se font face. Cette mise en situation avait pour but de créer les conditions de contacts permanents, faire en sorte qu’ils ne puissent s’ignorer et, ainsi, faciliter la communication entre les deux leaders. En fin politique, le président Kuffor était convaincu qu’une vraie solution durable à la grave crise politique ivoirienne ne pouvait émaner que d’une réconciliation des héritiers politiques de Felix Houphouët-Boigny et partant, de l’union de la famille politique houphouëtiste. Cette crise, faut-il le rappeler, a impacté négativement la vie économique et sociale de la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine, hormis le géant Nigeria, et la stabilité de la Côte d’Ivoire a toujours constituée un enjeu régional. La suite devait couler de source, avec la grande complicité du Premier ministre Seydou Diarra. Lorsque ce dernier reçu la visite de Mme Henriette Dagri Diabaté venue lui présenter ses hommages, ce 28 juillet en début de soirée, Seydou Diarra était déjà en embuscade pour enclencher la mission secrète de rapprochement entre Bédié et Ouattara. Il mit donc à profit cette visite pour mettre Mme Diabaté dans le secret.
Les deux s’en iront à leur tour visiter Alassane Ouattara, le ‘’neveu’’ de M. Diarra et lui souhaiter la bienvenue. Après les salamalecs, le Premier ministre informa Alassane Ouattara de la présence en face de sa suite de son aînée, Henri Konan Bédié. Il suggéra alors à l’ancien Premier ministre de Felix Houphouët-Boigny d’aller le saluer. Aussitôt dit, aussitôt fait! Seydou Diarra, Henriette Dagri Diabaté et Alassane Ouattara frappent à la porte de Bédié, quelques instants après. L’ancien président de l’Assemblée nationale sous Felix Houphouët-Boigny était à la fois surpris et heureux de cette visite inattendue. Et voilà les grandes accolades dans une ambiance d’émotions contenues mais que chacun a du mal à camoufler ! Le mur de glace venait de s’effondrer. Et c’était ainsi reparti, de fort belle manière, entre les deux leaders clés de l’opposition ivoirienne. Cette rencontre va renforcer d’autant leur complicité durant les deux jours de discussions. L’histoire retiendra que les deux hommes ne se sont plus jamais ignorés. Bien au contraire, ce contact historique, après des années de méfiance que le séjour à l’internat de Linas-Marcoussis n’était pas parvenu à effacer, aura réussi a provoqué le déclic dans leurs relations, ainsi que les rapports entre leurs deux formations politiques. Au sortir d’Accra III, les consultations deviennent plus régulières sur les sujets politiques nationaux majeurs, les deux hommes, sans doute, ayant également tiré les leçons des difficultés de la mise en œuvre de l’Accord politique de Linas-Marcoussis, du fait d’une insuffisance de concertation qui a encouragé les manœuvres dilatoires du président Gbagbo. Notre source nous précise que, depuis son palais d’Accra, le président Kuffor s’est régulièrement tenu informé, auprès du Premier ministre Seydou Diarra, de l’évolution des relations entre les héritiers de Felix Houphouët-Boigny et, surtout du projet de rapprochement politique, dont les bases ont été jetées en marge du sommet d’Accra III.
Les bases du RHDP ont été jetées en marge du sommet d’Accra III
Il en sera ainsi régulièrement jusqu’à ce 18 mai 2005. Le Premier ministre ivoirien, en visite au Ghana, est reçu ce jour-là par le président Kuffor. A la fin de l’audience, le chef de l’État ghanéen juge nécessaire de s’enquérir des nouvelles des’’enfants d’Houphouët’’. Et Seydou Elimane Diarra de lui annoncer la grande nouvelle : ‘’M.le président, en ce moment précis où vous me recevez, les enfants d’Houphouët sont en train de signer, à Paris, l’accord de création d’une plate-forme politique mouvement dénommée Rassemblement des houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix, RHDP’’. Et le président Kuffor, heureux, de s’exclamer : ‘’Dieu soit loué!’’. Cette anecdote rappelle combien ce qui se passe en Côte d’Ivoire ne laisse aucun de ses voisins indifférents, les Ghanéens encore moins qui vivent, pour certains, un sentiment de double appartenance géo-ethnique. L’Histoire des peuples du grand groupe Akan, ainsi que celles d’autres moins emblématiques, dans leur volonté inébranlable de ne pas rompre les liens de l’Histoire, ont largement contribué à faire battre les deux cœurs au même rythme, des deux côtes des frontières imposées par les empires coloniaux britanniques et français. Le récent séjour du président Henri Konan Bédié au Ghana, sur la terre de ses ancêtres, d’abord à Ansuta, capitale mythique des Akan, où il fut l’hôte du Roi des Ashanti, puis à Accra, où il sera reçu successivement par les présidents Nanan Akuffo Ado et John Kuffor, est évocateur de la solidité de cette fresque de l’Histoire. À coup sûr, à Ansuta, entre le Roi Ashanti et Henri Konan Bédié, ainsi qu’à Accra, il s’est passé des choses qui, espérons-le, marqueront positivement la grande Histoire que les héritiers de Felix Houphouët-Boigny sont décidés à écrire. Ensemble. Dans le RHDP unifié !’’, écrivait Abdoulaye Sangaré.
Voilà, le RHDP va désormais son chemin sans Bédié et le PDCI-RDA. Ce grand parti n’en garde pas moins sa solidité et ce qui en fait une formation ‘’supranationale’’, l’idéal de rassemblement et d’union, dont il a fait son credo. Ce n’est pas le moindre des mérites du président Alassane Ouattara qui se caractérise désormais comme le digne continuateur de l’œuvre de construction de la Côte d’Ivoire qui a renoué avec la grandeur sous son magistère.
AMBROISE TIETIE
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