Comme je l’ai souligné dans une récente contribution, (Cf. « Côte d’Ivoire : les ravages d’une conception surannée du pouvoir et de la lutte politique », la définition de la compétition électorale démocratique comme compétition pour la conquête du pouvoir cautionne, bien souvent, en nos Etats africains, les logiques d’accaparement et de confiscation factionnelle du pouvoir par des groupes d’intérêts privés. L’expression « conquête du pouvoir » est, en démocratie, un non-sens dans la mesure où le pouvoir du peuple qui désigne la liberté de chaque citoyen ne peut, par définition, être conquis par quiconque. L’expression « conquête du pouvoir » est donc un mot valise qui sert à camoufler des projets antidémocratique. Il est à noter que dans les vieilles démocraties, cette expression qui signifie la compétition inter-partisane pour le service des intérêts et des droits de la société, est utilisée dans un sens métaphorique et jamais dans un sens réel. Or surdéterminés par la culture de l’accaparement colonial du pouvoir et des autocraties postcoloniales, nous utilisons en Afrique l’expression « conquête du pouvoir » dans un sens réel et concevons le gouvernement démocratique comme contrôle de la société par le pouvoir politique. Nous devons donc nous départir de l’acception calamiteuse de cette expression en lui restituant sa signification métaphorique.
La lutte politique démocratique n’est pas un combat contre des ennemis et des étrangers pour la prise de l’Etat. L’élection présidentielle démocratique n’est pas un affrontement interpersonnel pour la conquête du pouvoir. La lutte politique démocratique est, au contraire, un affrontement inter-partisan pour la défense et la représentation politique des valeurs et intérêts divergents de toutes les catégories sociales de la cité. Au-delà de la personne des prétendants à l’exercice du pouvoir, l’affrontement électoral est, en démocratie, un affrontement de programmes politiques et de projets de sociétés concurrents. De ce point de vue, la vacance caractéristique des programmes politiques, des projets de société et des conceptions divergentes du Bien commun, dans l’affrontement inter- partisan précocement ouvert en Côte d’Ivoire en vue de la présidentielle de 2020, est un signe de mauvais augure. La logique de la conquête et de la conservation du pouvoir qui anime la guerre de succession ivoirienne porte dans ses flancs la logique de la force et la loi du plus fort qui nient le principe démocratique du libre choix des gouvernants par les gouvernés. Ces logiques antidémocratiques en cours, véhiculent les habituelles pathologies que sont le refus du résultat des urnes et les manipulations électorales. Elles sont, en cela, anormales et ne sauraient être normatives.
L’élection présidentielle démocratique n’est pas déterminée par la logique de la force militaire ou financière et ne saurait, en dépit de la performance des communicants, se réduire à l’efficacité des stratégies qui permettent aux candidats de séduire et de tromper les peuples pour s’imposer à leur choix et s’approprier leur souveraineté. La controverse démocratique entre les prétendants à l’exercice du pouvoir, la participation citoyenne du peuple à ces débats, le passage au crible de la critique des programmes politiques et des projets sociétaux concurrents, leur dissection par des scientifiques et par des journaux spécialisés sont autant de filtres qui permettent de préserver la liberté de choix de l’électorat.
L’élection présidentielle démocratique est un concours de sélection, par le peuple, du candidat disposant des qualités personnelles et des compétences intellectuelles et morales lui permettant de représenter l’unité de la Nation, de servir l’intérêt général et le Bien commun. C’est un concours de sélection du candidat qui présente, aux yeux de la majorité de l’électorat, le programme politique le plus convainquant dans ce sens.
Certes, l'objet immédiat de la lutte politique est de conquérir le pouvoir d'Etat en vue de l'exercer, et cette conquête mobilise les moyens les plus efficaces qui permettent d'y parvenir. Mais la finalité ultime de la compétition électorale démocratique n’est pas d’obtenir du peuple la permission de s’approprier son pouvoir. Elle est d’obtenir du peuple l’autorisation toujours révocable de se mettre à son service, au service de la protection de ses droits individuels et collectifs.
Certes, les cas sont légion de par le monde où, dans certains Etats dits démocratiques, l’affrontement politique est un affrontement de personnes. La compétition électorale de la présidentielle ne s’y déroule pas comme un affrontement de programmes politiques et de projets sociétaux. Elle est, au contraire, faite d’invectives et d’attaques ad-hominem. Les opposants sont emprisonnés, interdits de médias et de paroles. Des candidats à l’élection présidentielles s’imposent aux peuples par la force, refusent les résultats des urnes, manipulent les résultats électoraux, conquièrent le pouvoir du peuple par la force, s’en approprient et l’occupent. Néanmoins, la force ne fait pas le droit et la réalité historique n’est jamais normative. En droit et en principe, le pouvoir démocratique ne peut se conquérir par quiconque, car le pouvoir du peuple n’est rien d’autre que sa souveraineté, autrement dit la liberté de chaque citoyen. (A suivre).
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