Une menace contre la démocratie en Afrique Noire ?
Du Gabon au Tchad, en passant par les deux Congo, le Burundi, le Zimbabwe, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Nigeria, Madagascar pour ne citer qu’eux, en ces pays qui traversent ou qui ont traversé des crises post-électorales aigües, les Cours constitutionnelles et les Commissions Electorales Indépendantes sont frappées par une crise de confiance. On les accuse de rouler pour les pouvoirs en place. Elles sont donc récusées dans leur impartialité.
Au Gabon, la résolution institutionnelle de la crise post-électorale est dans l’impasse parce que l’opposition soupçonne la Cour Constitutionnelle de partialité au profit du pouvoir en place. Elle refuse pour cela de se référer à cette juridiction pour trancher le contentieux électoral qui déchire le Gabon. Elle soupçonne la présidente de cette Cour, Mme Marie-Madeleine Mborantsuo par ailleurs reconnue comme intègre mais originaire du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo, d’être une partie-prenante du conflit, d’être l’instrument d’Ali Bongo, de répondre des fidélités coutumières, d’être sous la pression du contrôle communautaire. Derrière ces accusations récurrentes, caractéristiques de toutes les crises politiques et post-électorales africaines, pointent un consensus implicite unissant les classes politiques africaines dans le soupçon. La fidélité aux coutumes, aux identités ethniques et régionales, prime sur la fidélité à l’Etat, à la Patrie et aux valeurs de la République.
La suspicion, la crise de confiance qui frappe les institutions de l’impartialité démocratique, la Cour Constitutionnelle et les Commissions Electorales Indépendantes, ne sont-elles pas alors liées à la vacance de la République, de la citoyenneté, de la Nation, de l’Intérêt général ? Ces figures formelles de la généralité politique qui permettent d’unir les particularismes, d’organiser entre eux le consensus transcendant sur lequel repose la vie publique de la diversité sociale se sont-elles imprimées dans les consciences et dans les sentiments des gouvernants ? Déterminent-elles, en tant que principes, la pratique de la majorité des hommes d’Etat et des acteurs politiques ? Ces idéalités ont-elles fondé, en eux, une conviction subjective susceptible d’entraîner chacun à dépasser son ego pour servir, de manière désintéressée, une cause supérieure, à résister au prix de ses intérêts particuliers à l’emprise des systèmes de pouvoir sur l’Etat ?
La réalité du terrain semble montrer que rares sont en effet les hommes d’Etat et les acteurs politiques africains qui se définissent effectivement par ces figures formelles de la généralité politiques, qui soient capables de s’engager historiquement pour les sauvegarder au prix de leur vie, de leur confort matériel et de leurs privilèges. Dans l’Afrique postcoloniale, Nelson Mandela, Thomas Sankara et une petite minorité d’acteurs politiques africains durant la période de la lutte anticoloniale, sont les exceptions qui confirment la règle.
L’opinion publique africaine considère donc, à raison ou à tort, que les membres des Cours constitutionnelles et des Commission Electorales Indépendantes africaines servent des intérêts particuliers, sont inféodés au parti au pouvoir et à son chef. Ce soupçon semble confirmé par les faits, ce d’autant plus que dans l’exercice de leur fonction, les membres de ces institutions se considèrent et agissent en fait comme des mandataires d’un parti politique ou comme des obligés du chef de l’Etat ou du parti dominant et non pas comme des représentants désintéressés de la Nation. Il est impossible de se considérer comme représentant individuel de la Nation dans une Cour Constitutionnelle ou une CEI quand on ne peut pas envisager la Nation comme étant la figure abstraite de la souveraineté du peuple-principe qui transcende toutes les particularités, les groupes d’intérêts, les partis politiques, les ethnies et les confessions. Il est impossible d’agir dans l’impartialité au sein d’une Cour Constitutionnelle ou d’une CEI quand on identifie la Nation à une catégorie sociale particulière, à une communauté, au parti politique ou au chef d’Etat auquel on se sent lié par une fidélité personnelle.
Les exemples historiques sont légion en Afrique Noire où les rédacteurs des Constitutions, manipulent la Loi Fondamentale de la République au gré des intérêts particuliers partisans dominants ou de ceux du détenteur du pouvoir d’Etat. Nombreux sont les cas concrets où les membres des Cours Constitutionnelles, des Commissions Electorales Indépendantes et plus généralement des Autorités Publiques Indépendantes, siègent en tant que délégués et porte-paroles des associations de la société civile, des partis politiques ou du chef de l’exécutif dont ils dépendent en fait au lieu de siéger en tant que représentants de la Nation en son unité indivisible pour servir l’intérêt général. En Côte d’Ivoire en 2010, la partialité notoire de la Cour Constitutionnelle et le soupçon porté à l’encontre du président de la CEI, alimentèrent la crise post-électorale.
En Afrique Noire postcoloniale, la capacité de se mettre au-dessus des particularismes et des intérêts factionnels pour servir l’Intérêt Général et le Bien public se paie par la répression, par l’exclusion, par l’ostracisme ou par la mort. La Loi supérieure qui détermine la société politique et l’Etat postcolonial africains est la fidélité aux coutumes, la soumission aux systèmes de pouvoirs, la subordination de l’Administration à l’Etat et à son chef, la dépendance personnelle de tous les magistrats au détenteur du pouvoir.
Loin d’être accidentelle ou de relever d’une incompréhension, la crise de confiance qui frappe les institutions d’impartialité en Afrique est donc historiquement fondée dans la structure interne des sociétés postcoloniales. Quelle est donc la racine structurelle de la crise des institutions d’impartialité et de réflexivité démocratique en Afrique Noire ? Comment instituer l’impartialité politique en nos Etats ? Comment restaurer la confiance publique ? Comment sortir du soupçon afin de pacifier les Elections présidentielles africaines?
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