Réforme de la Constitution ivoirienne: Le sens de la réforme.
Lors de sa rencontre avec le Président de la République, relative au « projet de mise en place d'une nouvelle Constitution », Affi N’guessan, le chef de file de l’opposition ivoirienne, a demandé que soient nécessairement tenus des états généraux de la République. Pour Affi N’guessan il est nécessaire de faire « le bilan de la crise qu'a connue le pays afin d'éviter aux Ivoiriens la répétition des mêmes évènements dans un avenir proche ». Tel serait le but d’une tenue des états généraux de la République dans le contexte de la Réforme de la Constitution. Cette demande est justifiée, à supposer qu’elle soit animée par une intention de catharsis collective et d’aggiornamento qui permettent aux Ivoiriens, à leurs partis et à leur personnel politique de se réapproprier les valeurs de la République et de la Démocratie à travers le débat public.
Quelles sont, en effet, les causes profondes de la crise politique meurtrière qu’a connue la Côte d’Ivoire ? Ces causes sont structurelles et subjectives. Au niveau structurel, la politisation de l’administration et des acteurs sociaux ivoiriens a permis de mettre la puissance publique et la société au service de la volonté de puissance de certains acteurs politiques. L’incorporation de la société à l’Etat et aux partis politiques a permis aux détenteurs du pouvoir de diffuser dans le corps social l’idéologie mortifère du populisme ethno-nationaliste. Hérité du régime de parti unique, ce rapport de subordination de la société au système politique a permis aux partis politique de se restructurer en partitocratie et de fonctionner en vase clos, de servir leurs intérêts particuliers d’appareil et ceux de leurs dirigeants. La société civile naissante a été, par cette subordination, une ressource politique considérée comme clientèle à incorporer pour s’approprier le pouvoir et le conserver. Cet habitus du parti unique a conduit au dévoiement de la représentativité démocratique. Cette dernière s’est muée en représentativité ethnique et confessionnelle. Au niveau subjectif, la culture de l’accaparement et du monopole du pouvoir instituée successivement par l’Etat colonial et sa version endogène, l’Etat de parti unique, a défini l’engagement politique comme engagement pour l’accaparement du pouvoir et pour la jouissance de ses rentes et privilèges. En Afrique en général, et en Côte d’Ivoire en particulier, les conseils donnés par Machiavel au Prince au XVIème Siècle pour bâtir l’Etat moderne en abrogeant les anciennes suzerainetés et les anciens dominium ont été interprétés comme un ensemble de recettes de filouteries et de gangstérisme politique à la disposition des dictateurs et des autocrates. Le pouvoir d’Etat a été conçu comme un mât de cocagne pour celui qui parvient à s’en emparer. Il a été considéré comme un moyen d’enrichissement personnel, de domination politique, sociale et économique.
La crise politique ivoirienne meurtrière a donc été provoquée par la volonté d’accaparement et de domination définie comme culture collective. Elle a été enfantée par la conjonction calamiteuse de la déficience interne de la volonté personnelle des acteurs politiques et de la Loi fondamentale de l’Etat. Elle fut en Côte d’ivoire la conséquence des Constitutions taillées sur mesure qui permettent d’asseoir la domination politique économique et sociale. La volonté de puissance et l’hubris personnels trouvent, dans de telles constitutions, les cadres institutionnels en lesquels ils s’épanchent sans limitation. L’échec des révolutions africaines, qui ont bien souvent, depuis la fin de la colonisation, installé un pouvoir plus oppresseur, plus corrompu et plus avide que le précédent, s’enracine dans cette déficience de la volonté politique et des Constitutions. La répétitivité fatale des crises politiques meurtrières de nos cités provient de notre incapacité à abroger, en nous-mêmes, notre volonté subjective d’accaparement et à supprimer le dispositif structurel de domination sociale que nous mettons en place dans les rouages de l’Etat pour le soutenir.
Réformer la constitution ivoirienne, en vue d’empêcher la réédition de la crise politique dont la Côte d’Ivoire tente de se relever, est donc, d’un point de vue structurel, remplacer par la réforme politique concertée, le modèle dictatorial de l’Etat par un modèle démocratique construit par une volonté endogène de liberté.
Il s’agit donc de reconstruire constitutionnellement la nature des liens entre la société civile, le système politique et l’Etat. La Loi fondamentale des dictatures et des autocraties institue un mouvement qui descend, de haut en bas, de l’Etat vers la société civile, un rapport antipolitique de domination où l’exécutif impose son arbitraire à la société au moyen de l’embrigadement du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. La Constitution des démocraties électorales représentatives substitue à ce rapport de domination un rapport politique qui monte, de bas en haut, de la société civile vers l’Etat, un mouvemement de représentation politique de la demande sociale majoritaire. L’objet ultime de la réforme de la Constitution ivoirienne est d’instituer en Côte d’Ivoire ce rapport démocratique où « les acteurs sociaux commandent leurs représentants politiques qui contrôlent à leur tour l’Etat ».
Il s’agit donc, en cette réforme, d’établir effectivement par la Loi fondamentale ivoirienne la souveraineté du peuple pour que ce dernier puisse être véritablement la puissance commandante des acteurs politiques et de l’Etat. Cette renaissance démocratique repose sur une volonté de liberté et de réappropriation des valeurs républicaines et démocratiques. Elle passe par une catharsis politique collective qui doit être réalisée dans une tenue d’états généraux de la République. (A suivre)
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